Alors que les pressions se sont multipliées sur les instances européennes pour freiner la mise en œuvre de la stratégie Farm to fork et du Green deal, dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Commission choisit au contraire, aujourd'hui, d'accélérer le mouvement. « Certains nous disent qu'il y a déjà beaucoup de risques pour la sécurité alimentaire globale et que ce n'est pas le bon moment. Mais alors quand est-ce que ce sera le bon moment ? », a d'emblée souligné Frans Timmermans, vice-président exécutif chargé du Pacte vert pour l'Europe, ce mercredi 22 juin, en présentant la proposition de règlement sur l'usage durable des pesticides de la Commission. Pour cette dernière, les leçons de la science sont sans ambiguïté : ce sont bien les crises climatiques et la perte de biodiversité qui menacent le plus notre souveraineté alimentaire, dès aujourd'hui et sur le long terme.
Des mesures plus fermes, au-delà de la stratégie
Afin de remédier à la faiblesse des règles actuelles et d'inciter plus fortement les États membres à mettre en place des systèmes alimentaires conformes aux objectifs de l'Union européenne, le texte de la Commission, inclus dans le paquet européen « protection de la nature », tente de concilier souplesse et autorité. L'objectif de réduire de 50 % l'usage des pesticides chimiques et leurs risques d'ici à 2030, notamment les plus dangereux, deviendrait ainsi contraignant. Mais, « afin de garantir la réalisation des objectifs à l'échelle de l'UE », les États auront à fixer eux-mêmes leurs propres cibles nationales. La méthode de calcul prendrait en compte l'intensité de l'utilisation des pesticides et les efforts de réduction déjà engagés pour déplacer le curseur au-dessus ou en deçà du seuil de 50 %.
Une disposition adoptée après de vifs débats, afin de ne pas défavoriser les pays déjà avancés sur ce terrain. Aucune sanction n'est à ce jour définie, en cas de retard ou de manque d'ambition des pays, mais la Commission se réserverait le droit d'émettre des recommandations. Ces engagements forts risquent toutefois d'être biaisés si les indicateurs choisis ne sont pas les bons, prévient l'association Générations futures. « Le Harmonized Risk Indicator 1 choisi discrimine le plus fortement les pesticides utilisés en agriculture biologique. Mais, même au sein des pesticides conventionnels, il existe un biais systématique en faveur des plus toxiques. »
Un soutien financier et technique
De nouvelles mesures pourraient être promues, afin de s'assurer que tous les agriculteurs et autres utilisateurs de pesticides adoptent la lutte intégrée contre les organismes nuisibles, les pesticides chimiques restant le « dernier recours ». À charge pour chaque État membre d'établir des règles spécifiques aux cultures après identification des solutions possibles de remplacement. Un plan de soutien à ces démarches a en outre été imaginé, en plusieurs volets. D'abord, les règles budgétaires de la PAC pourraient être exceptionnellement modifiées. Alors qu'elles ne concernent théoriquement que des mesures volontaires, qui vont donc au-delà des obligations juridiques, elles seraient en mesure de financer, pour cinq ans, les nouvelles obligations nées de ce règlement, par le biais des plans stratégiques nationaux, dans le cadre des écorégimes et des investissements notamment.
Ensuite, le texte s'engage sur un élargissement de l'éventail des solutions de remplacement biologiques et à faible risque mis sur le marché, ainsi que sur un appui aux projets de recherche et de développement dans le cadre des programmes Horizon de l'Union européenne. La Commission compte aussi sur l'évolution de l'agriculture de précision, rendue possible par les techniques de localisation géospatiales et de reconnaissance des organismes nuisibles. Enfin, elle mentionne la proposition relative aux données sur la durabilité, qui reste encore à finaliser.
Les zones fragiles mieux protégées
Autre avancée très attendue : les pesticides seront interdits dans les zones écologiques sensibles ou protégées, de type Natura 2000, les espaces verts, sentiers publics, jardins proches des hôpitaux, aires de jeux et autres équipements sportifs. Ceci sans dérogation possible a priori, sauf si d'autres législations prévoient des exceptions. A terme, la Commission s'engage également à favoriser la réduction « à zéro » des résidus de thiaméthoxame et de clothianidine : deux substances bannies de l'Union européenne, mais toujours présentes dans certaines denrées alimentaires importées, qui contribuent de manière significative au déclin mondial des pollinisateurs.
Cette proposition, qui reste à examiner par le Parlement et le Conseil européen, pourrait transformer la directive existante en règlement directement applicable dans tous les États membres. De quoi résoudre « les problèmes persistants liés à la mise en œuvre déficiente et inégale des règles existantes au cours de la dernière décennie », explique la Commission. Les États membres devront soumettre à cette dernière un rapport annuel détaillé sur l'état d'avancement et la mise en œuvre du dossier. Une approche qui correspondrait aux souhaits des citoyens, « de plus en plus préoccupés par l'utilisation des pesticides et par l'accumulation de leurs résidus et métabolites dans l'environnement », juge la Commission, citant, à cette occasion, le rapport final de la conférence sur l'avenir de l'Europe. « Près de 40% estiment que les pesticides constituent un risque majeur pour la sécurité alimentaire », indique Stella Kyriakides, commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire. « Et 96 % d'entre eux attendent des objectifs contraignants », complète Frans Timmermans. En parallèle, la Commission mène une analyse destinée à identifier les risques de pénurie alimentaire et les solutions à long terme. « Si celle-ci nous amène à faire une autre proposition, nous y sommes prêts. L'idée est d'avoir une base scientifique justifiant toute décision », assure Frans Timmermans.