Quelle est la juste rémunération de l'effacement de consommation électrique ? Tout dépend des bénéfices qu'apporte cet effacement à l'équilibre du réseau. Maîtrise de l'énergie, réduction de la pointe de consommation ou simple report de consommation ? Cette question fait encore débat, notamment pour l'effacement diffus, réalisé dans le résidentiel, les commerces et les bureaux.
Pourtant, c'est ce type d'effacement qu'a choisi de rémunérer la ministre de l'Ecologie : un projet d'arrêté propose une prime pour l'effacement diffus de 30 €/MWh pendant les heures pleines et de 4 €/MWh pendant les heures creuses.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui a reçu pour avis le projet d'arrêté (1) le 15 décembre, juge ce montant trop élevé : le double de ce qu'elle-même proposait en 2013. Par ailleurs, elle alerte sur le coût qu'aura cette prime pour l'ensemble des consommateurs d'électricité : 9 M€ pour l'année 2015, supportés via la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Sur dix ans, l'impact sur la CSPE serait de 0,5 milliard d'euros "dans l'hypothèse d'une croissance annuelle de la capacité d'effacement [diffus] de 750 MW"…
La CRE donne donc un avis défavorable à ce projet de texte. Tout comme l'ont fait le 9 décembre le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) et début 2014 l'Autorité de la concurrence.
Quel est le réel bénéfice pour la collectivité ?
"Le courrier de saisine de la CRE précise que le montant de la prime a été établi au regard des avantages de l'effacement pour la collectivité en termes d'économies d'énergie, de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de diminution des pertes sur le réseau". C'est ce que prévoit le décret du 3 juillet 2014 qui fixe les grandes lignes de la valorisation de l'effacement sur les marchés de l'énergie.
Mais le décret prévoit aussi la prise en compte des effets de bord de l'effacement, et notamment des reports de consommation, qui relativisent ses bénéfices pour la collectivité. Aujourd'hui, la quantification et la qualification de cet effet rebond fait encore débat. Pourtant, face aux incertitudes, le projet de décret fait l'hypothèse d'un report nul, choix "injustifié" selon la CRE.
"Si le niveau de l'effet report ne fait pas consensus entre l'ensemble des acteurs, plusieurs études montrent qu'il ne peut être considéré comme nul et qu'il pourrait même, au contraire, être conséquent. A titre d'illustration, il est admis par l'ensemble des acteurs (…) que les effacements de ballons d'eau chaude conduisent à un report de 100%". En juillet 2013, la CRE proposait de partir sur l'hypothèse d'un report de 50%, ce qui aboutirait à une prime de 16,3 €/MWh.
Des retours d'expérience mi-2015
La ministre justifie son choix en s'appuyant sur les règles de mise en œuvre de la valorisation de l'effacement élaborées par le gestionnaire de réseau RTE : en l'absence de consensus, ces règles ne prennent pas en compte l'effet report. Pour la CRE, "dans le cadre de ces règles, la prise en compte de l'effet report implique d'en avoir une connaissance fine non seulement s'agissant de son niveau mais aussi de sa structure (la connaissance des moment, durée et intensité du report), afin de ne pas affecter aux différents responsables d'équilibre des blocs d'énergie qui ne correspondraient pas à la réalité physique".
Mais, s'agissant du montant de la prime, la CRE estime que la fixation d'un niveau normatif de report à 50% est pertinent dans l'attente d'un retour d'expérience "précis et fiable". RTE devrait réaliser des tests cet hiver et estime pouvoir tirer de premiers enseignements d'ici la fin du premier semestre.
Laisser faire le marché
La CRE regrette que les travaux entrepris "depuis de nombreuses années en collaboration avec l'ensemble des parties prenantes [pour] l'élaboration d'un cadre permettant d'accompagner le développement de l'effacement et son intégration au système électrique" n'aient pas été davantage pris en compte par le ministère. Ces travaux ont notamment permis de dessiner le futur marché de capacité qui permettra de valoriser directement sur le marché l'effacement face aux moyens de production de pointe. Pour la CRE, "la prime ne doit pas entraver ce processus de développement de l'effacement par son intégration aux mécanismes de marché".
Le décret de juillet 2014 prévoit d'ailleurs que la prime n'excède pas les avantages effectifs de l'effacement pour la collectivité et ne doit pas conduire à une rémunération excédant une rémunération normale des capitaux immobilisés. Or, pour l'effacement diffus, le niveau de prime fixé par le projet d'arrêté n'a pas été justifié sur ce point par l'administration, souligne la CRE. Cette dernière prévoit de mener, en 2015, "une analyse détaillée de la rémunération des capitaux immobilisés par les opérateurs d'effacement, afin d'établir les montants maximaux de prime qui pourraient leur être accordés". Elle "n'exclut pas que certains types d'effacement sur des sites de consommation souscrivant une puissance supérieure à 36 kilovoltampère puissent à ce titre bénéficier d'une prime".
Enfin, la CRE regrette que le projet d'arrêté ne s'appuie pas sur le décret qui prévoyait d'introduire une dégressivité de la prime en fonction du volume d'effacement réalisé, ce qui "permettrait d'éviter des effets d'aubaine, particulièrement dans l'hypothèse d'une surestimation de son niveau".