Le Parlement a définitivement adopté le 3 avril la proposition de loi (1) relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte. Le texte avait été déposé le 28 août 2012 par le groupe écologiste du Sénat.
"L'adoption de cette proposition de loi est une victoire pour les associations qui œuvrent sur des dossiers comme l'amiante ou le Mediator", estime Marie-Christine Blandin, auteure de la proposition de loi. "Ce sont de nombreuses vies humaines qui auraient été épargnées si nous avions pu bénéficier plus tôt d'une expertise indépendante et d'une protection des lanceurs d'alerte", a-t-elle ajouté, se félicitant de la levée de nombreux obstacles durant la discussion parmi lesquels la crainte "de dépenses supplémentaires, d'usine à gaz, de confusion des rôles, de difficultés pour les entreprises".
"Cette loi participe de la modernisation de la décision publique, qui passe par l'indépendance de l'expertise", s'est félicité Ronan Dantec, rapporteur écologiste de la proposition de loi. Avec son adoption définitive, "les conditions devraient être réunies pour que les signaux faibles soient mieux repérés, et à un stade suffisamment précoce, pour prévenir des catastrophes sanitaires ou environnementales", estime de son côté la ministre de l'Ecologie, Delphine Batho.
Un droit dont les abus sont sanctionnables pénalement
"Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement."
C'est ainsi que la nouvelle loi définit le droit d'alerte qu'elle instaure. Le texte précise toutefois que l'information que la personne rend publique doit être dénuée de tout caractère diffamatoire ou injurieux. Le fait de lancer une alerte de mauvaise foi ou avec l'intention de nuire sera d'ailleurs puni d'une peine pouvant atteindre cinq ans de prison et 45.000 euros d'amende.
Un droit d'alerte en entreprise
La loi prévoit la possibilité d'exercer ce droit d'alerte au sein de l'entreprise au profit des représentants du personnel au CHSCT (2) mais aussi de tout travailleur qui "estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement".
L'employeur est tenu de consigner par écrit l'alerte et d'informer le salarié de la suite qu'il entend lui réserver. A défaut, ou en cas de divergence sur son bien-fondé, le travailleur ou le représentant du personnel peut saisir le préfet. Par ailleurs, s'il ne respecte pas ses obligations, l'employeur ne pourra plus se prévaloir de l'exonération de responsabilité du fait des produits défectueux prévue par l'article 1386-11 du code civil (3) lorsque l'état des connaissances scientifiques et techniques est insuffisant.
"La responsabilité de la gestion d'alerte appartiendra à l'entreprise et au préfet, mais c'est déjà le cas ! Nous restons donc dubitatifs et nous regrettons que le CHSCT ne dispose pas de missions et de moyens nouveaux", déplore la sénatrice communiste Evelyne Didier, dont le groupe a voté le texte malgré tout.
Le lanceur d'alerte protégé
La loi prévoit une protection du travailleur lanceur d'alerte, qui ne peut être écarté d'une procédure de recrutement ou d'une formation, être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire du fait de l'exercice de ce droit.
En cas de litige, l'employeur devra prouver que sa décision est justifiée par des éléments étrangers au témoignage de l'intéressé. "La proposition de loi consacre en droit les lanceurs d'alerte, qui sont prêts à risquer leur carrière dans l'intérêt général. Le renversement de la charge de la preuve en leur faveur est une avancée", estime Jean-Pierre Plancade (RDSE – Midi-Pyrénées).
"Cette proposition de loi créera une nouvelle catégorie de salariés avec un statut particulier, les lanceurs d'alerte, ce qui pourra avoir des conséquences dramatiques pour certaines PME qui ne pourront lutter contre les fausses alertes", déplore de son côté le sénateur UMP Jean Bizet, dont le groupe a voté contre le texte.
Commission nationale de déontologie et des alertes (CNDA)
L'autre volet important de la loi est la création d'une Commission nationale chargée "de veiller aux règles déontologiques s'appliquant à l'expertise scientifique et technique et aux procédures d'enregistrement des alertes en matière de santé publique et d'environnement".
Elle aura pour mission "de diffuser les bonnes pratiques déontologiques existant dans les établissements publics, et généraliser les meilleures méthodes d'association de la société civile dans les débats scientifiques", indique Delphine Batho qui ajoute qu'un "dispositif de traçabilité visant à éviter que des alertes ne soient perdues ou ignorées sera mis en place par les établissements publics concernés".
"La CNDA sera une refonte du comité de la prévention et de la précaution, à moyens constants, et son secrétariat sera assuré par les services de mon ministère", a voulu rassurer la ministre. "On parle de choc de compétitivité et vous créez une nouvelle agence ; on parle de choc de simplification et vous présentez ce texte...", avait dénoncé Jean Bizet quelques minutes plus tôt.
Cette commission, dont le fonctionnement doit être précisée par décret, comprend des parlementaires, des membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation, du Conseil économique et social (Cese), ainsi que des personnalités qualifiées. Ses membres, et ses collaborateurs occasionnels, sont soumis à des règles de confidentialité, d'impartialité et d'indépendance dans l'exercice de leurs missions. Ils sont tenus d'établir une déclaration d'intérêts et ne peuvent prendre part, sous peine de sanctions pénales, aux travaux de la commission si ils ont un intérêt direct ou indirect dans une affaire examinée.
La commission pourra se saisir d'office ou être saisie par un ministre, un parlementaire, une association agréée de consommateurs, de protection de l'environnement ou agissant dans le domaine de la qualité de la santé, un syndicat de salariés représentatif ou une organisation interprofessionnelle d'employeurs, un ordre professionnel du secteur de la santé ou de l'environnement, ou un organisme public ayant une activité d'expertise dans ces domaines.
L'avenir dira comment ces nouvelles possibilités prévues par la loi seront effectivement mises en œuvre. Encore faut-il toutefois que les décrets d'application paraissent. "Comptez sur le Gouvernement pour que les textes d'application soient publiés rapidement et que les moyens -constants- suivent", s'est engagée à ce propos la ministre de l'Ecologie devant les sénateurs.