Respectivement coordinateur et directeur métier sites Sols Pollués de la société Eodd et ingénieur de recherche au BRGM
Actu-Environnement : Les solutions de traitement développés dans le projet Bioxyval seront testées sur une ancienne cokerie en Lorraine. Pourquoi avoir sélectionné ce site ?
Gaëtan Urvoy : Cette ancienne cokerie est polluée par une nappe de goudron jusqu'à une profondeur de 9 mètres. Elle fait partie d'un réseau de sites pilotes, le réseau Safir (1) . La contamination aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) est récurrente en France : selon la base basol (2) , elle représente environ 16 % des sites pollués identifiés et suivis par les pouvoirs publics. Face à ces pollutions complexes, nous devons innover pour faire baisser les coûts de décontamination et remettre ces fonciers sur le marché.
Les mutations industrielles et urbaines ont entraîné l'apparition d'un grand nombre de sites industriels délaissés qui présentent aujourd'hui un potentiel économique valorisable. L'idée de ce projet est de valider des solutions intégrées globales qui allient différentes technologies pour faire baisser les coûts et redonner à ces fonciers une valeur marchande.
Les dix membres du projet (3) vont mutualiser leurs connaissances et retours d'expériences dans cette optique. Ces résultats pourront être appliqués en France ou à l'étranger et booster l'activité des entreprises.
AE : quelles seront les pistes de recherche développées par le projet Bioxyval ?
GU : On distingue six lots de recherche qui concernent le diagnostic, la modélisation informatique prédictive de l'évolution de la pollution, le traitement de la zone saturée, le traitement de la zone non saturée, la valorisation – c'est à dire la refonctionnalisation agronomique des sols ou une valorisation en technique routière -, et enfin l'évaluation des techniques.
Au sein de chacun des lots, plusieurs taches correspondent à des projets de recherche très spécifiques.
AE : Quelles sont les innovations développées pour le diagnostic ?
Stéfan Colombano : Beaucoup de friches comportent des superficies notables et des diagnostics classiques engendrent des coûts importants. L'idée est de faire une sorte de pré diagnostic pour identifier les endroits exacts où faire des forages.
Nous avons deux approches : nous développons des diagnostics par voie indirecte grâce à des prélèvements de gaz des sols - avec une limite de détection très basse. Les polluants de type HAP vont dégazer. En réalisant des prélèvements au-dessus du toit de la nappe : à moindre profondeur en enfonçant des piez-air ou des cannes à 50 cm- 1 mètre de profondeur vous êtes capable de voir ce qui dégaze… Nous allons travailler sur les limites de quantification et le traitement statistique.
Nous allons également nous servir de la réponse électrique des polluants et méthodes géophysiques. Les goudrons présentent une résistance électrique élevée (4) alors que le sol saturé en eau est très conducteur. Ce contraste de résistivité va permettre, en mesurant la résistivité, de mettre en lumière les zones plus ou moins polluées. Cela va également nous permettre de suivre l'évolution de la dépollution en fonction du temps.
AE : Quelles sont les innovations développées pour la dépollution ?
SC : Pour la dépollution, nous prévoyons de tester le chauffage des sols. Nous avons déterminé que le meilleur compromis pour rendre le goudron pompable, sans que cela ne coûte trop cher est 50°C.
L'ajout d'oxydants novateurs a également été testé. Nous utilisons également des bactéries pour désorber/dégrader la pollution. Nous les prélevons sur le site puis les mettons en état de stress pour qu'elles produisent des surfactants. Mais c'est surtout la combinaison des techniques qui est intéressante, nous essayons de mettre au point des filières de traitement.
En dernière étape, nous prévoyons une refonctionnalisation du sol. A partir de ces sols inertes, nous allons essayer de faire en sorte que de la biodiversité puisse à nouveau s'installer. Nous allons reconstruire les sols en ajoutant de la matière organique, par exemple, des déchets de papier, de boues de station d'épuration, etc.
Nous pouvons également améliorer les propriétés géochimiques : nous ajoutons de la chaux à une certaine température pour renforcer la cohésion des sols et ensuite pouvoir les réutiliser, une fois qu'ils ont été traités, sous des chaussées, etc.
Gaëtan Urvoy : La technique du chaulage pour augmenter les propriétés mécaniques d'un sol est éprouvée. Par contre, quid de son efficacité de dépollution que de propriétés géotechniques, sur des matériaux pollués ? Si démonstration est faite de l'efficacité de la technique, on pourra alors envisager son déploiement en sous couche de voirie ou sous des bâtiments, au sein de grands ensembles pollués, par exemple à l'intérieur de zones d'aménagement concerté (Zac) ou d'opération d'intérêt national (Oin)… et cela, en lieu et place de matériaux nobles de carrières. On participe ainsi au cercle vertueux de l'économie circulaire.
Le stade ultime est la phytoremédiation. Après avoir recréer une vie dans la terre, nous ajoutons des plantes qui vont soustraire la pollution.
AE : Ce projet doit durer 7,5 années. A mi-parcours, quels sont vos premiers résultats ou difficultés à surmonter ?
Stéfan Colombano : Il y a une balance à trouver entre la force de la dépollution et les possibilités finales en terme de biodiversité. Parfois en dépolluant un peu moins, cela pourra nous permettre d'augmenter la refonctionnalisation des sols et permettre un traitement avec de la phytorémédiation plus facile…L'équilibre entre les techniques est compliqué à trouver.