Ce contexte de compte à rebours est l'élément temporel qui confère aux négociations climatiques un caractère d'urgence inédite. Et pourtant, depuis son élaboration en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio, la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) patine dans des pourparlers sans fin. Sa traduction juridique, le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, vient à peine d'entrer en vigueur (2008) que bientôt (en 2012) va s'achever sa première période d'application, sans que l'on parvienne à en tirer quelque bilan conséquent. Pour éviter une interruption du dispositif, c'est en 2009, dernier délai, que les pays ayant ratifié le Protocole de Kyoto doivent élaborer un nouvel accord, qui prendra le relais à partir de 2013. L'enjeu principal de ce nouvel accord est d'engager les pays émetteurs à atteindre leur pic d'émissions le plus tôt possible, afin d'entamer dès 2015 la descente carbonique qui s'impose pour éviter une accumulation de CO2 dans l'atmosphère, compte tenu de l'inertie de ce gaz, qui a une durée de vie de plus d'une centaine d'années.
Le temps presse à tous les niveaux. Sur le front climatique, les émissions des pays industrialisés signataires de Kyoto ont augmenté de 9,9% sur la période 1990-2006, mises à part celles des pays de l'Est européen, Russie en premier lieu, qui ont chuté de 37% en raison de la désindustrialisation consécutive à la chute du bloc soviétique1. Sur le front des négociations, l'entrée dans la danse des Etats-Unis rebat les cartes de la diplomatie climatique. Les discussions se sont poursuivies à Paris les 25 et 26 mai, dans l'enceinte du Forum des économies majeures sur l'énergie et le climat, qui réunit 17 Etats représentant 80% de la consommation énergétique mondiale et 80% des émissions de gaz à effet de serre de la planète, Chine et Inde comprises. Inauguré à l'initiative du président Bush, ce Forum a été repris par l'administration Obama sans en reproduire l'esprit initial, qui cherchait à court-circuiter les négociations menées sous l'égide des Nations Unies. Celles-ci se poursuivent à Bonn (Allemagne) dès le 1er juin, siège de la Convention des Nations Unies sur le climat, en vue de préparer la conférence de Copenhague de décembre prochain.
Un « Fonds vert »
Co-présidée par la France et les Etats-Unis, cette réunion du Forum des économies majeures a surtout servi à rappeler les deux éléments prioritaires de l'accord de Copenhague.
Première priorité : l'ambition de limiter le réchauffement à +2°C, par des efforts de réduction (« atténuation ») d'émissions de gaz à effet de serre équitablement répartis entre pollueurs « historiques » (les pays occidentaux) et « émergents » (Chine, Inde, Brésil, Indonésie et Afrique du Sud), ces derniers bénéficiant d'un droit à émettre que les pollueurs historiques devront compenser par des réductions plus sévères chez eux.
Deuxième priorité : un accord sur le financement, visant à abonder le Fonds pour l'atténuation et le Fonds d'adaptation, celui-ci étant plus spécifiquement destiné aux pays victimes des impacts du réchauffement. La question du financement est cruciale pour la crédibilité du dispositif, tant pour soutenir la décarbonisation des économies que pour instaurer une solidarité internationale face aux dégâts induits par le dérèglement du climat. Les besoins d'ici à 2020 sont évalués à plus de 100 milliards d'euros par an.
C'est sur le volet du financement que le Major Economies Forum (MEF) aura réservé une (bonne) surprise. A l'issue de la réunion, le 26 mai, le ministre de l'écologie Jean-Louis Borloo a annoncé une convergence de vues sur une proposition initialement élaborée par le Mexique, prévoyant l'instauration d'un « Fonds vert » abondé par la contribution des pays les plus riches, au prorata de leur PIB et de leurs émissions passées et présentes. Cette proposition inattendue a été bien accueillie par l'ensemble des pays du Forum, Etats-Unis compris, et devrait être rediscutée à Mexico le mois prochain, lors de la prochaine réunion du MEF.
Des stratégies comparables
Mais le MEF aura surtout pointé les points d'achoppement, qui se jouent entre les visions divergentes de l'Union européenne et des Etats-Unis sur les trajectoires d'émissions. Jean-Louis Borloo, fort de son expérience du bouclage du paquet énergie-climat européen en décembre 2008, a réitéré sa conviction que les difficultés diplomatiques sont plus angoissantes que mettre noir sur blanc les différents éléments de la problématique. Évoquant la conférence de Bali de 2007, où l'ensemble de la communauté internationale s'était rallié à l'objectif de réduction de 25 à 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990 pour les pays industrialisés, il a annoncé ne pas vouloir transiger avec cette date : tout le monde doit faire des efforts, c'est les scientifiques qui le disent. Si l'Europe y est parvenue, les Etats-Unis peuvent y arriver, en écho au fameux yes we can du président Obama. À cette injonction, le négociateur américain Todd Stern a opposé une autre vision, plus nationale. La législation sur le climat est en cours d'examen au sein des commissions parlementaires de la Chambre des Représentants et suit une voie différente de celle du Protocole de Kyoto, que les Etats-Unis n'ont pas ratifié. La « Waxman-Markey Bill » propose une réduction des émissions plus faible qu'en Europe, de 17% en 2020 par rapport à 2005, compte tenu du retard pris par les Etats-Unis. Les niveaux de réduction auxquels nous nous engageons seront à terme équivalents à ceux de l'Europe. Dès 2030, nous aurons réduit nos émissions de 42% par rapport à 2005, et de 83% d'ici à 2050, a martelé Todd Stern lors de la conférence de presse clôturant le MEF.
Au-delà de ce concours de chiffres, que la Chine renvoie dos-à-dos en exigeant désormais un engagement unanime des pays industrialisés sur l'objectif de -40% de GES en 2020, il reste à valider la pertinence des moyens mis en œuvre pour les atteindre. Sur ce point, Union européenne et Etats-Unis recourent à des stratégies similaires, qui offrent des marges de flexibilité massives aux acteurs industriels. Ceux-ci s'apprêtent à réaliser la majeure partie de leurs réductions grâce au marché carbone, auquel ils vont pouvoir recourir gratuitement dans un premier temps, grâce aux exemptions d'enchères qui leur sont accordées tant par le paquet énergie-climat européen que par la loi Waxman-Markey. La technologie de capture et séquestration du carbone sur les sites des centrales thermiques donne des crédits supplémentaires et est présentée comme une voie majeure de réduction d'émissions compatible avec la poursuite du recours au charbon. Les énergies renouvelables visent l'objectif de 25% de la production d'électricité en 2025, comparables aux 20% européens en 2020.
Face au compte à rebours de l'ultimatum climatique invoqué par les ONG dans un appel récent, ces dispositions peuvent apparaître comme des stratégies dilatoires : gagner du temps par le recours au marché carbone, au risque de provoquer la défiance des pays « émergents » auxquels n'a pas échappé le tour de passe-passe des Européens. Ceux-ci s'apprêtent à tirer la majeure partie de leurs crédits carbone des investissements « propres » qu'ils entendent réaliser dans les pays du Sud. Or la Chine réclame à juste titre que les pays industrialisés fassent d'abord des efforts domestiques, et que les crédits carbone tirés d'investissements propres dans les pays émergents soient clairement différenciés.
Le risque de l'accord post 2012 est de demeurer centré sur des techniques d'évitement qui n'engagent qu'à la marge les transformations nécessaires : la recette marché carbone + séquestration du CO2 risque d'être nettement insuffisante pour « décarboner » la planète. De ce point de vue, les Européens n'ont pas de leçons à donner aux Américains. Outre la faiblesse de ces orientations virtuelles en regard des urgences réelles posées par le climat, une autre incertitude plane sur l'avenir du Protocole de Kyoto : son fondement juridique même pourrait être démantelé si le système de sanctions, initialement prévu sous la forme d'une autorité judiciaire supranationale, est sacrifié à l'aune du consensus attendu à Copenhague à la fin de l'année.