Y a-t-il de la place pour tout le monde ? Telle a été la question soulevée au fil du premier Forum national des énergies renouvelables et de la biodiversité, organisé par le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et tenu le 5 juillet à Paris. « Aucun objectif ne doit être contradictoire, il nous faut trouver des synergies », a souhaité Jules Nyssen, président du SER, en ouverture. Loi d'accélération des énergies renouvelables (Aper), objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN) et renforcement de la protection des espaces naturels et de la biodiversité : les concilier tous en parallèle paraît particulièrement ardu, mais pas impossible.
Le prix de l'accélération
L'enjeu spatial – celui de pouvoir trouver suffisamment de surfaces sur lesquelles développer autant d'énergies renouvelables que prévues (passer de 20 à au moins 33 % dans la consommation d'énergie d'ici à 2030), sans contrevenir à la lutte contre l'artificialisation des sols et la protection de la biodiversité – surgit avant tout d'un décalage temporel. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB) depuis un mois, en a donné une illustration : « L'OFB vient seulement de lancer un appel à projets de recherche concernant l'impact de l'éolien en mer, dont de premiers résultats sont attendus dans cinq ans. Cependant, d'ici là, le Parlement aura arbitré notre ambition en matière d'énergies renouvelables et l'État aura déjà choisi des zones où les développer sans connaître précisément leurs impacts, risquant de mettre les développeurs juridiquement en porte-à-faux a posteriori. » Il évoquait, en cela, le projet de loi de programmation énergie-climat (LPEC) en cours d'élaboration, qui donnera la couleur de la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
« En moyenne, en France, il faut huit ans pour développer un parc photovoltaïque ou éolien terrestre et douze ans pour un site éolien offshore, tandis que nos voisins européens vont parfois deux fois plus vite, a souligné Pierre Cazeneuve, député Renaissance des Hauts-de-Seine et rapporteur de la loi Aper. L'envie d'accélérer engendre des tiraillements, notamment sur le besoin de recourir à des dérogations. » Ces dérogations, le plus souvent à l'interdiction de destruction d'une espèce protégée, sont déjà une source récurrente de conflits entre décarbonation du mix énergétique et protection de la nature.
En réponse, la Haute-Juridiction a voulu dégager une solution plus équilibrée. D'une part, la dérogation est exigible seulement si le projet visé comporte un risque « suffisamment caractérisé » pour au moins une espèce protégée. D'autre part, pour être délivrée, elle doit remplir nécessairement trois critères : ne pas exister de solution alternative satisfaisante ; ne pas porter atteinte au maintien, dans un « état de conservation favorable », des populations d'espèces ; et répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM). Cette même RIIPM que la loi Aper entend étendre à davantage de projets d'énergies renouvelables à travers une « présomption de reconnaissance » au titre de la transition énergétique – à l'instar de ce que compte également introduire le projet de loi Industrie verte.
Apprendre à faire avec ?
Faut-il accepter sans broncher que ces ouvrages ont un impact environnemental inévitable ? Faut-il, par conséquent, contrevenir automatiquement aux deux premières devises de l'axiome « éviter-réduire-compenser » ? Cette même loi Aper prévoit l'instauration de « zones d'accélération », à définir par les collectivités en concertation avec les habitants, sur lesquelles accueillir en priorité des énergies renouvelables. « Il faut donner la priorité aux zones à moindre impact environnemental, aux terres déjà artificialisées ou polluées et en exclure les zones Natura 2000 ou les aires marines protégées », a évidemment soutenu Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France.
Des sites, certes à moindre enjeu environnemental, que la CDC Biodiversité (une filiale de la Caisse des dépôts et des consignations) compte néanmoins déjà mobiliser pour développer des opérations de réhabilitation et restauration, idéales pour de la compensation. « Les zones de biodiversité dégradée, comme notre site naturel de compensation mutualisée de Cossure, dans les Bouches-du-Rhône, doivent aussi être conservées si la compensation doit s'accentuer », a soulevé Valentine Norève, chargée de projets au CDC Biodiversité. Enora Tredan, responsable du programme « Énergies marines renouvelables et biodiversité » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), est même allée jusqu'à rappeler que la « seule énergie neutre, c'est encore celle que nous ne produisons pas » et appeler à « éviter le simple remplacement d'une énergie par une autre ».
D'autres ont préféré donner à voir les quelques cobénéfices environnementaux des énergies renouvelables. « En Espagne, les premières centrales solaires, installées à l'écart des habitations et sur des terrains préservés du fauchage, invitent la réapparition de certaines espèces, non présentes par ailleurs dans la même région », a par exemple indiqué David Marchal, directeur exécutif adjoint de l'expertise et des programmes de l'Agence de la transition écologique (Ademe). « La création d'un plan d'eau plus calme, pour ralentir le débit d'un cours d'eau en amont d'un ouvrage hydraulique, forme une zone plus favorable aux amphibiens et à l'avifaune », a notamment ajouté Jérôme Brebion, ingénieur pour le bureau d'études Ingé-eau. Quant au sénateur EELV d'Ille-et-Vilaine, Daniel Salmon, attend, quant à lui, la mise en œuvre d'un Fonds biodiversité, alimenté par les développeurs d'énergies renouvelables sous la forme d'une « rétribution ». Et Olivier Thibault de conclure : « Le simple fait d'en débattre et de se poser ces questions ensemble est une partie de la solution. »