Taxer les matières incorporées dans les produits selon leur origine (matière recyclée ou vierge) "offre un potentiel important pour accélérer la transition vers une économie circulaire". Alors qu'aujourd'hui la fiscalité porte essentiellement sur l'aval, via les taxes sur les déchets. Pourtant, "une fiscalité matières renforcée combinant taxation des entrées et taxation des sorties permettrait à la fois un gain environnemental et un gain économique, sous réserve d'une utilisation appropriée des recettes fiscales générées". En l'occurrence, les services du ministère de la Transition écologique proposent d'allouer les recettes à la baisse des charges sociales.
775 millions de tonnes "taxables"
La loi de transition énergétique ambitionne de découpler la croissance française de la consommation de matières premières (article 74). Pour cela, elle fixe un objectif de hausse de 30% de la productivité matières (2) entre 2010 et 2030. Taxer les matières qui entrent dans les processus de production pourrait "créer un signal-prix qui favorise une économie sobre en ressources naturelles vierges, et qui privilégie la préservation de la valeur des matières et l'utilisation de matières premières issues du recyclage", estime le CGDD.
Actuellement, la fiscalité matière ne joue qu'"un rôle limité". Surtout, constate l'étude, "une tonne de matières sortante (déchets) est en moyenne taxée vingt-six fois plus qu'une tonne entrante (matière première)". En 2013, 1,34 milliard d'euros ont ainsi été collectés : 950 millions d'euros par les éco-contributions des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) et 392 millions d'euros au titre de la TGAP déchets. Du côté des entrées de matières, seulement 65 millions d'euros ont été perçus via la TGAP extraction sur les granulats de la construction.
Pour autant, le potentiel d'une fiscalité amont est particulièrement important : hors combustibles fossiles, la France consomme chaque année quelque 775 millions de tonnes de matières. Il s'agit essentiellement de métaux, de minéraux non métalliques et de biomasse. Avec une taxe de 9,6 euros par tonne, les recettes correspondraient à celle générées par 1 point de cotisations sociales. Bien sûr, le taux évoqué dans l'étude n'est qu'un ordre de grandeur qui peut être modulé en fonction des matières et de leurs coûts environnementaux.
Le succès du Royaume-Uni
Au-delà de l'argument financier, l'étude souligne que "des exemples peu nombreux mais concluants démontrent l'efficacité de dispositifs fiscaux (…) pour réduire ces pressions". C'est le cas de la tarification incitative appliquée aux déchets ménagers (avec une baisse de 28% des tonnages non triés) et de la hausse de la TGAP déchets entre 2008 et 2012 (avec une baisse de 16% des déchets enfouis).
Du côté des taxes amont, le CGDD reprend l'exemple de la taxe britannique sur l'extraction de granulats (2 livres sterling par tonne, soit douze fois la TGAP extraction française). Depuis sa mise en place, le Royaume-Uni observe un découplage entre la croissance du BTP et la baisse de consommation de granulats. Parallèlement, l'utilisation de granulats recyclés a progressé pour atteindre un quart de la consommation totale, "soit cinq fois plus que la moyenne européenne". Et d'ajouter que "la majeure partie des recettes de cette taxe a permis une baisse de 0,1 point des cotisations sociales, le reliquat abondant un fonds dédié à une meilleure gestion environnementale des sites d'extraction et au soutien du recyclage".
Baisser le coût du travail
Une telle approche est-elle transposable en France ? Oui, estiment les services du ministère de la Transition écologique qui ont modélisé l'impact d'une taxe amont sur deux métaux primaires. "Il serait possible de réduire leur consommation tout en améliorant le PIB et l'emploi", explique l'étude qui pose toutefois une condition : "affecter les recettes à une baisse de cotisations sociales". Une condition qui constitue le fil rouge de l'étude et fait plutôt figure d'argument en faveur de la réforme proposée…
En appliquant une taxe de 20% sur le minerai de fer (soit 20 euros par tonne) et de bauxite (soit 12 euros par tonne), "le modèle prévoit une baisse de 9% de l'utilisation de métaux primaires [et] une hausse de 6 % de la demande de métaux secondaires". Si les 274 millions d'euros ainsi collectés sont restitués forfaitairement aux ménages, l'impact global est négatif. Le PIB baisse de 0,004 point et quelque 1.400 emplois sont détruits. Dans ce cas, le renchérissement des matières premières détériore la compétitivité. En revanche, si les recettes de la taxe sont affectées à une baisse de cotisations sociales, l'impact devient positif : hausse du PIB de 0,003 pt et création de 1.400 emplois. Dans ce scénario, "la baisse du coût du travail permet de maintenir la compétitivité et de stimuler la demande intérieure en créant de l'emploi", résume l'étude.