Au sortir de la crise du Covid, en 2021, l'agriculture biologique résistait encore aux soubresauts de la conjoncture, malgré un léger ralentissement du nombre d'hectares en conversion et de la consommation de ses produits. Moins de deux ans plus tard, les chiffres du secteur accusent cette fois un déclin certain. Avec seulement 75 000 nouveaux hectares agricoles enregistrés sous le label AB en 2022, surtout pour les légumes secs, les grandes cultures, la vigne et les fruits, au lieu de plus de 250 000 ha les années précédentes, l'Agence Bio a révélé, jeudi 1er juin, lors de la présentation de son panorama 2022, un nombre de conversions bien en deçà de ce qui était prévu dans la feuille de route du ministère de l'Agriculture.
Les déconversions, quant à elles, ont concerné un peu plus de 2 000 producteurs, en prenant en compte les départs à la retraite. Si ces dernières ne représentent que 4 à 5 % des exploitations, notamment dans les filières porc et œufs, leur nombre aura tout de même augmenté de 42 % sur un an. Un fléchissement assez préoccupant, alors que le bio représente un facteur d'attractivité pour les métiers agricoles, un élément clé pour le renouvellement des générations, dans un contexte où 20 000 exploitants partent à la retraite chaque année. Cette tendance compromet, en outre, l'objectif de la France d'atteindre 18 % de surfaces bios en 2027. En 2022, celles-ci ne totalisaient que 10,7 % des superficies agricoles, soit 2 millions d'hectares pour 60 000 fermes, pour 10,44 % en 2021. « Nous devrions déjà être à 12 % », alerte la Fédération nationale de l'agriculture biologique (Fnab).
Une consommation en perte de vitesse
L'envie de s'installer en bio ne s'est pourtant pas tarie chez les nouveaux agriculteurs : en fonction des régions, ils seraient entre un sur quatre et un sur deux à y aspirer. Mais leurs perspectives en termes de débouchés ne s'avèrent pas très encourageantes. En effet, l'habitude de consommer du bio décline au sein de la population : 60 % des Français l'auraient fait au moins une fois par mois au cours des douze derniers mois, soit une chute de 16 % par rapport à 2021. En un an, la part d 'adeptes du bio au quotidien a perdu 7 % et celle des consommateurs hebdomadaires 11 %. Conséquences : si les ventes de produits bios vendus à la ferme, soit 13 % du marché, ont augmenté de 3,9 % en 2022, le marché global, lui, se replie de 4,6 %.
Des initiatives relativement infructueuses
Le prix arrive toujours en tête des freins au choix du bio (71 %), mais des doutes sur la probité du label interviennent aussi (57 %, contre 40 % en 2021). Les campagnes de communication nées du regroupement inhabituel de l'Agence Bio, de la Maison de la bio et des interprofessions (Cniel, Interfel, Interbev, Cnpo, Synalaf, Cnipt, Intercéréales, Terres Univia), n'auront pas donc suffi à changer la donne. Pas plus que l'introduction de l'obligation d'inclure 20 % de bio dans l'approvisionnement des cantines, dans la loi Egalim, d'ailleurs régulièrement différée. Aujourd'hui, le total de leurs commandes se limite à 7 %. Un différentiel qui fait perdre 1,4 milliard d'euros aux producteurs bios, selon Laure Verdeau.
Dans l'immédiat, la forte mobilisation de l'enseignement agricole pour inclure l'agriculture biologique dans ses formations, celle des acteurs de la recherche dans la production de connaissances sur l'agriculture biologique et celle de certains territoires pour développer cette pratique n'auront pas non plus porté leurs fruits. À l'origine de cette situation, les agriculteurs bios pointent surtout les soutiens plutôt chiches de l'État à la conversion et presque inexistants au maintien. « On paie aujourd'hui les décisions politiques d'il y a cinq ans. La croyance que la dynamique du marché se suffisait à elle-même et que l'intervention de l'État n'était plus nécessaire pour faire la transition écologique agricole », souligne Olivier Chaloche, membre du bureau de la Fnab.
Une palette de mesures attendue
Les exploitants regrettent aussi les politiques fiscales incitatives appliquées aux labels alternatifs, de type HVE, moins disants sur le plan environnemental et sources de confusion pour les consommateurs. Quant au Programme ambition bio (PAB) 2022, destiné à doper la filière et doté d'une enveloppe de 1,1 milliard d'euros, dont une grosse partie consacrée aux aides à la conversion, il aura montré un manque « patent » de coordination et de lisibilité des actions, selon la Coordination rurale. Pour la Fnab, ce ralentissement « historique » devrait donc inciter le gouvernement et les acteurs du secteur bio à « réagir en urgence pour ne pas assister les bras croisés à l'enterrement de la transition agroécologique de la France ».
La fédération appelle ainsi à prendre plusieurs mesures : augmenter l'écorégime bio jusqu'à 145 euros à l'hectare et par an, mettre en place un système de paiements pour services environnementaux bios, faire respecter l'objectif de 20 % de bio dans la restauration hors domicile, d'ici un an, pour l'ensemble des collectivités locales, mieux financer la communication sur le bio en direction du grand public… Un point de vue d'ailleurs partagé par Loïc Guines, président de l'Agence Bio. Pour ce dernier, les 18 % de surfaces agricoles en bio ne seront atteintes qu'en mettant « la pression » sur le Gouvernement et en travaillant avec l'ensemble du microcosme sur ce sujet, mais aussi en « poussant » la consommation de leurs produits.
Un avenir incertain
Après un premier train de mesures annoncé fin 2022 et un fonds d'urgence de 10 millions d'euros (M€) présenté en mars 2023, jugé largement insuffisant par les professionnels de l'agriculture bio, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé un nouveau plan de soutien à la filière, à hauteur de 200 M€ pour l'année en cours, dont 50 millions supplémentaires octroyés aux exploitations. La campagne de communication #BioRéflexe, pilotée par l'Agence Bio, sera également pourvue de 500 000 euros supplémentaires et 3 M€ iront à une « campagne de communication massive » dans le cadre de France 2030.
Mais la filière pourrait se heurter aux velléités des sénateurs d'amoindrir ces efforts en sa faveur dans le cadre de l'élaboration de la loi Ferme France. Déposé le 16 mai dernier, le texte de la commission des affaires économique de la Chambre haute repousse, par exemple, de trois ans l'objectif d'intégrer 20 % de produits bios dans la restauration collective publique...