Soixante milliards d'euros, soit trente points de PIB : c'est l'impact économique mensuel de la pandémie de Covid-19 sur le territoire, selon les estimations de l'Observatoire français des conjonctures économiques (1) (OFCE). Alors que le Gouvernement réfléchit d'ores et déjà à un plan de relance aux niveaux national et européen, de nombreux chercheurs et associations se positionnent en faveur d'un plan de relance vert, prenant en compte les exigences environnementales.
« Le système est en état de thrombose », analysait Patrice Geoffron, professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine, lors d'une conférence de presse organisé par l'institut de recherche I4CE. Face à l'ampleur de la crise générée par l'épidémie de Covid-19, « une demande de résilience va émerger au sein de la société civile », prévoit-il. D'où la nécessité, selon lui, de prévoir dès maintenant un scénario de sortie de crise permettant d'être « plus résistants et résilients face aux chocs de ce type, y compris climatiques, qui nous attendent. »
Une trentaine de mesures pour verdir les plans de sortie de crise
Afin d'atteindre cet objectif, l'Institut I4CE propose une trentaine de mesures (2) dans sept secteurs couverts par la Stratégie nationale bas-carbone française. Elles devraient permettre, selon eux, de conjuguer urgence sanitaire, sauvegarde économique et respect des ambitions climatiques esquissées dans le Pacte vert européen. « Si on veut être à la hauteur de ce Pacte vert, on ne peut pas faire une relance brune, » estime Patrice Geoffron. « Une opportunité manquée à trente ans de l'échéance pour être neutre en carbone pourrait coûter très cher plus tard. Nous devons verdir les plans de relance », renchérit Benoît Leguet, directeur général d'I4CE.
Les secteurs que l'État devrait privilégier dans le cadre de ce plan de relance seraient, selon l'Institut, la rénovation des logements privés et tertiaires, le déploiement des véhicules électriques, les infrastructures de transport en commun, les infrastructures ferroviaires, les aménagements cyclables et la production d'électricité renouvelable, qui regroupent à eux seuls deux-tiers des investissements bas-carbone du pays, et représentent une activité économique évaluée à 46 milliards d'euros en 2018.
De nombreux co-bénéfices sanitaires et sécuritaires
Les mesures à mettre en place dans ces secteurs reposent sur cinq grands « axes d'impulsion » : des investissements publics ; des cofinancements publics sous forme de subventions, notamment pour l'achat de véhicules électriques ; des obligations de travaux de rénovation énergétique ; des outils financiers permettant aux projets de démarrer sans trésorerie ; et enfin de l'accompagnement technique à destination des collectivités, des ménages et des entreprises. L'Institut a déduit de ces mesures un plan de financement reposant sur une impulsion publique de 7 milliards d'euros par an jusqu'à 2023. Il devrait, selon eux, déclencher 18 milliards d'euros d'investissements annuels en faveur du climat.
Ce plan de relance comprend de nombreux co-bénéfices, selon Patrice Geoffron. Il permettrait, par exemple, à la France, d'être plus autonome en énergie, et donc moins sensible aux chocs pétroliers, mais également de réduire le coût sanitaire de la mauvaise qualité de l'air, estimé à 50 milliards d'euros par an à l'échelle européenne. « Ces investissements verts ont un rendement caché : ils nous mettent à l'abri de crises futures et améliorent notre résilience. Si nous ne privilégions pas les intérêts collectifs et la résistance sanitaire en sortie de crise, nous aurons à nouveau raté une occasion », insiste-t-il en évoquant le plan de relance de 2008, un plan « peu ambitieux » responsable de nombreux retards environnementaux (3) .
Le risque d'une « relance brune » à l'international
” Benoît Leguet, directeur général d'I4ce.
L'inquiétude de Patrice Geoffron est partagée par le Réseau Action Climat (RAC), qui estime que, dans le contexte de la crise actuelle, « le Gouvernement ne doit pas soutenir de manière inconditionnelle les entreprises dont l'activité participe à l'aggravation de la crise climatique et au gaspillage des ressources naturelles. » La fédération d'associations environnementales propose que l'État ne fournisse des aides qu'aux secteurs respectant leurs budgets carbone (4) . Le RAC insiste également sur la nécessité de supprimer les avantages fiscaux dont bénéficient, entre autres, les compagnies aériennes.
À l'international, la coalition d'associations 350.org exhorte également les États à soutenir les filières s'engageant dans la transition écologique, notamment à travers l'instauration « d'incitations vertes » dans les fonds de relance dont bénéficieront les sociétés et les entreprises. Reste à savoir si ces propositions seront prises en compte par le Gouvernement dans son plan de sortie de crise. Les attentes des associations seront d'autant plus élevées que les enjeux sont importants : comme le rappelle Benoît Leguet, « en 2020, nous n'avons plus le luxe de manquer des opportunités. »