« C'est l'aboutissement d'un gros travail : trente ans d'études et de recherche, vingt ans de travail en laboratoire souterrain, dix ans d'études de conception », explique Pierre-Marie Abadie, directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) devant la presse. L'établissement a déposé, lundi 16 janvier, la demande d'autorisation de création (DAC) de Cigéo, constituée de 10 000 pages, auprès du ministère de la Transition écologique. Une nouvelle étape qui fait réagir les opposants, qui pointent de nombreux problèmes restés sans réponse.
Ce centre de stockage, situé à la frontière des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, est destiné à stocker quelque 83 000 m3 de déchets radioactifs, dont 73 000 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et 10 000 m3 de haute activité à vie longue (HA-VL), à 500 mètres de profondeur dans une couche argileuse. Cinquante pour cent de ces déchets sont déjà produits et sont pour l'heure entreposés sur les sites d'Orano, d'EDF et du CEA, indique l'Andra.
« Un bon niveau de maturité »
Avec cette nouvelle phase, Pierre-Marie Abadie met en premier lieu en avant la maturité du projet. Une maturité qui résulte selon lui des moyens, des compétences et des connaissances accumulés depuis plus de trente ans, mais aussi du cadre législatif et de plusieurs procédures de consultation du public. Trois lois ont en effet été votées en 1991, en 2006 et en 2016, et deux débats publics ont été organisés en 2005 et en 2013, sans compter le débat sur le plan national de gestion des déchets et matières radioactifs (PNGMDR) qui s'est tenu en 2019. « Cigéo a été expertisé par de nombreux comités et revues internes et externes. Il fait, par ailleurs, l'objet d'un dialogue continu avec les acteurs du territoire, comme avec les parties prenantes nationales », assure l'Andra.
Les opposants pointent également les incertitudes concernant les déchets bitumés, dont l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait souligné, en janvier 2018, le risque d'incendie à travers son avis sur le dossier de sûreté (DOS) du centre. « Une étude est en cours (…), avec des résultats attendus pour… 2026 », pointe le Front contre Cigéo. « Deux options sont envisagées, confirme Frédéric Plas, directeur du programme Cigéo à l'Andra. Une option de stockage après traitement, dont le procédé reste à définir, et une option de stockage en l'état dans des alvéoles renforcées. »
Démontrer la sûreté des installations
En second lieu, l'Andra met en avant la démonstration de sûreté qui est au cœur de la demande de création déposée. « L'objectif fondamental de Cigéo est de protéger l'homme et l'environnement. Ainsi, le dossier de DAC vise à démontrer que la sûreté des installations souterraines et de surface sera assurée pendant toute la phase d'exploitation, prévue sur une centaine d'années, mais aussi à très long terme après la fermeture du stockage », explique l'établissement public.
Techniquement, la DAC est constituée de 23 dossiers, dont la version préliminaire du rapport de sûreté, l'étude de maîtrise des risques, l'étude d'impact et le plan directeur d'exploitation (PDE). Durant la phase d'exploitation, explique Frédéric Plas, les exigences de sûreté concernent à la fois les populations et les travailleurs. Elles portent en particulier sur les risques de chute de colis, le risque incendie ou encore le risque d'inondation. « Après la fermeture, la géologie joue le rôle majeur », explique le directeur du projet, grâce à une couche argileuse « stable depuis plusieurs millions d'années ». L'impact radiologique du centre, tant en fonctionnement normal qu'en cas de dysfonctionnements, « reste bien en deçà des seuils fixés par la réglementation pour la mise en place de mesures de protection des populations », souhaite rassurer l'Andra.
Cinq ans d'instruction
Le dossier déposé auprès de la Mission sûreté nucléaire et radioprotection du ministère de la Transition écologique sera ensuite instruit par l'ASN, avec l'appui technique de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ainsi que de groupes permanents d'experts. Il est prévu que l'instruction dure cinq ans. Elle devrait aboutir à un décret d'autorisation de création en 2027 après avis de l'ASN, consultation de diverses instances (Autorité environnementale, Commission nationale d'évaluation, Opecst, collectivités locales, etc.), puis enquête publique. Le coût du projet, actuellement évalué à 5 milliards d'euros (Md€) pour la phase d'investissement et à 25 Md€ sur cent-cinquante ans, devra faire l'objet d'une réévaluation d'ici cette échéance.
La signature du décret donnera le feu vert pour la construction du centre et ouvrira le début de la phase industrielle pilote. Durant cette phase, des déchets peu exothermiques seront descendus dans 20 alvéoles (sur 900) destinées aux déchets HA-VL et dans 4 cellules (sur 22) destinées aux MA-VL. Mais l'Andra devra obtenir ensuite une autorisation de mise en service, qui devrait intervenir à la fin des années 2030, pour permettre la prise en charge de déchets MA-VL de manière industrielle. Il faudra attendre 2085 pour ouvrir la phase industrielle des HA-VL. « La réversibilité est prévue par la loi de 2016 et permettra de récupérer les colis, mais aussi d'adapter le projet aux retours d'expérience ainsi qu'aux évolutions de la politique énergétique », explique Pierre-Marie Abadie.
Si le Front contre Cigéo reconnaît qu'il n'existe pas de solution « simple et peu onéreuse » pour gérer ces déchets toxiques, il estime l'enfouissement en grande profondeur « techniquement et financièrement irréaliste ». « L'Andra et le Gouvernement continuent à faire avancer coûte que coûte le projet Cigéo, alors qu'il s'agit sans aucun doute de l'option la plus dangereuse et la plus incertaine, et éthiquement très contestable », estiment les organisations. C'est pourtant aussi à l'éthique que le directeur général de l'Andra fait appel pour justifier le projet. « C'est une forme d'assurance que l'on apporte aux générations futures de ne pas les laisser sans solution », explique Pierre-Marie Abadie.
Un recours à l'étude
Les opposants indiquent qu'ils vont étudier l'opportunité de déposer un recours contre la DAC, comme ils l'ont fait, en septembre dernier, contre la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet. Pour cela, ils vont vérifier si le dossier répond aux nombreuses questions qui restent en suspens : « Ce dossier prouve-t-il que Cigéo est réellement faisable en toute sécurité ? Contient-il des analyses de risques précises et des procédures réalistes en matière de sécurité ? Les impacts sur l'environnement sont-ils correctement identifiés, notamment sur l'eau et la biodiversité ? L'estimation du coût du projet est-elle actualisée et réaliste ? »
Et, si les travaux devaient commencer, « nos organisations pourraient également se mobiliser médiatiquement et sur le terrain », annonce le Front des opposants. Aucun chantier de construction relevant du périmètre de l'installation nucléaire de base (INB) ne sera engagé avant le décret d'autorisation de création, assure Frédéric Plas. Ce qui n'empêche toutefois pas la réalisation de travaux préliminaires comme le renforcement des voies routières, la réalisation d'un terminal embranché au réseau ferroviaire, le raccordement à une ligne haute tension, l'alimentation en eau potable, ou encore des travaux de défrichement ou d'archéologie préventive.