Directeur général, Office français de la biodiversité (OFB)
Actu-Environnement : Les missions de l'OFB sont-elles une simple addition de celles de l'AFB et de l'ONCFS ?
Pierre Dubreuil : La loi reprend les mêmes familles de missions : police de l'environnement, mobilisation de la société, appui aux politiques publiques, expertise, appui aux gestionnaires de l'environnement, connaissance et recherche. Le potentiel d'expertise et de recherche sera bien plus grand du fait de la fusion. La loi confère, par ailleurs, des compétences de police judiciaire plus importantes aux 1 800 inspecteurs de l'environnement. Ils disposent de l'ensemble de l'arsenal de police judiciaire sauf la garde à vue. Et en matière de police administrative, ils conservent les compétences qu'ils avaient jusqu'à présent.
AE : En quoi l'OFB sera-t-il plus efficace que les établissements précédents pour mettre fin à l'érosion continue de la biodiversité ?
PD : Par la capacité opérationnelle de l'établissement qui dispose de 2 800 agents. Il y aura entre 15 et 25 inspecteurs de l'environnement par département. La fusion renforce mécaniquement la capacité d'action. La réunion des forces aux niveaux national, régional et départemental permet aussi de rassembler des compétences qui donnent une puissance plus importante. Les savoir-faire sont rassemblés au sein d'un même établissement alors que l'AFB était plus axée sur le milieu aquatique et marin, et l'ONCFS sur le milieu terrestre. La singularité majeure de l'OFB est de rassembler tous les acteurs qui interviennent en matière de biodiversité, sans exclusive dans sa gouvernance et dans le dialogue : chasseurs, agriculteurs, pêcheurs, associations de protection de la nature, usagers de la nature, gestionnaires d'espaces naturels, etc. On crée un gros opérateur unique et inédit, qui n'a pas d'équivalent en Europe. Cela permet d'avoir une réponse un peu plus adaptée aux enjeux dans ce contexte d'érosion accélérée de la biodiversité.
AE : La première cause d'érosion est la destruction des milieux. Or, l'OFB n'a pas de compétence en matière d'aménagement. Comment pouvez-vous réellement agir ?
PD : On peut intervenir en tant qu'expert sur des projets d'aménagement. Notre rôle est de donner un avis technique au préfet mais c'est effectivement borné réglementairement. Notre expertise technique est fondée sur la connaissance des milieux et des espèces. Ce savoir influence la décision, ou pas. On n'est pas une ONG et on n'est pas là pour faire des leçons de morale sur l'artificialisation. On a par ailleurs une mission de mobilisation de la société. Cette mission a un grand impact pour faire comprendre que l'artificialisation des sols est une cause d'érosion. C'est ensuite aux citoyens eux-mêmes de faire pression.
AE : La gestion des milieux marins par l'OFB a suscité des inquiétudes. Où en est-on ?
PD : Tout ça est derrière nous, même si ça a été un grand point d'inquiétude des acteurs du milieu marin lors de la phase de préfiguration. J'y ai répondu de plusieurs manières. Au niveau de l'organisation, en choisissant de ne pas faire d'entrée par milieu (terre, mer, etc.). La philosophie est d'avoir une vision intégrative et territoriale de la biodiversité. Je veux que les milieux se parlent. Ensuite, j'ai créé un délégué mer auprès du directeur général, basé à Brest, qui sera le porte-parole de la mer. J'ai également renforcé la présence des acteurs du milieu marin à différents échelons. Les parcs naturels marins conservent par ailleurs les mêmes prérogatives.
AE : Comment concilier les cultures des deux établissements fusionnés ?
PD : Cela prend du temps de créer une culture commune. J'ai un dialogue nourri avec tous les acteurs. Tous sont légitimes. Il n'y a pas de hiérarchie entre eux. Les chasseurs sont des acteurs à part entière de la biodiversité, souvent les meilleurs connaisseurs de la nature dans bien des endroits. Les agents de l'ONCFS et de l'AFB travaillent maintenant sous la même bannière. Tous les acteurs ont la même finalité, celle de préserver les milieux. Notre intérêt commun, c'est de stopper l'érosion et de faire en sorte que l'homme et la nature vivent mieux ensemble. Quand on rassemble tous ces acteurs autour de projets, à l'exemple d'Agrifaune (1) , on partage des constats et on voit que ces projets avancent.
AE : Le budget du nouvel établissement public pose-t-il question ?
PD : Cette question a été réglée en loi de finances. Il y avait un besoin de financement de 41 millions d'euros (M€) liés aux pertes de recettes de l'ONCFS suite à la baisse du permis de chasser et du transfert de responsabilités. Une subvention de l'État compense cette perte de recettes, sans prélèvement d'un seul euro sur les agences de l'eau.
AE : Des postes vont-ils être supprimés à l'OFB ?
PD : Il y a un an, il était prévu que l'OFB perde 127 emplois. Les organisations syndicales et moi-même d'ailleurs, nous sommes battus. On a bénéficié d'un arbitrage ministériel favorable et l'emploi est sanctuarisé en 2020 au sein de l'Office, alors que tous les autres opérateurs du ministère en perdent. Vingt postes seront en revanche supprimés en 2021 et quarante en 2022. La fusion pourra générer quelques économies d'échelle. Globalement, on n'enlèvera pas d'emploi dans les territoires, car j'ai pris l'engagement de les prioriser.
AE : L'OFB est-il désormais le seul acteur de la biodiversité en France ?
PD : Non, on travaille beaucoup avec les organismes de recherche comme le Muséum d'histoire naturelle ou l'Ifremer pour le milieu marin. L'OFB financera ces organismes et des plans nationaux à hauteur de 120 M€. On va continuer à travailler avec les ONG, les collectivités territoriales, etc. Avec l'Inrae, l'ONF et tous les établissements dans le giron de la nature et de l'environnement, on a vocation à créer des liens. Je privilégie les projets. Ce sera le cas avec les fédérations départementales de chasseurs à travers l'éco-contribution. Il faut quand même clarifier le paysage sur le « qui fait quoi », mais je souhaite qu'il n'y ait pas d'esprit de concurrence entre acteurs.
AE : Êtes-vous chargé de mettre en œuvre le plan biodiversité présenté par le Gouvernement en juillet 2018 ?
PD : Le ministère de la Transition écologique est en charge de son pilotage. Nous sommes chargés de la mise en œuvre de certaines de ses actions dans le cadre de directives données par les deux ministères de tutelle. L'application de ce plan, des stratégies européennes et des stratégies nationales va converger en 2021 dans un nouveau contrat d'objectifs et de performances (COP) qui va donner notre feuille de route stratégique.
AE : Quelle place va tenir l'OFB dans les grands rendez-vous internationaux sur la biodiversité prévus cette année ?
PD : On aura une présence forte au Congrès mondial de la nature en juin prochain à Marseille. On travaille d'arrache-pied sur ce très grand rendez-vous qui va permettre de mobiliser, au plan international et national, sur l'urgence de la situation. Cela va préfigurer la présence de la France à la COP 15 (2) en octobre prochain en Chine. Nous jouons le rôle d'appui aux politiques publiques en tant qu'expert pour définir la position française. C'est une année qui doit permettre de faire avancer la cause de la biodiversité, qui est un sujet à la fois local et mondial. Nous, on peut faire les deux : on agit sur le local et on a un pouvoir d'expertise sur la problématique globale.