« Que voulez-vous de plus, vous avez déjà été indemnisés ? » C'est la phrase reçue dans le plexus par Pierre Pluta, président de l'Association des victimes de l'amiante (AVA) alors qu'il bataillait pour faire reconnaître la responsabilité pénale des complices du plus grand scandale sanitaire qu'ait connu la France. Un scandale qui fait toujours 3 000 victimes par an et pourrait causer, au final, entre 120 000 et 180 000 décès dans l'Hexagone.
Labyrinthe de procédures
« Ce n'est pas une vengeance, on ne demande pas la tête de qui que ce soit, mais nous cherchons à comprendre comment ce scandale a pu arriver et à en tirer les leçons », explique M. Pluta, alors que 1 900 victimes de l'amiante regroupées par l'AVA déposent, ce jeudi 25 novembre, une citation directe auprès du tribunal judiciaire de Paris. Cette nouvelle procédure, destinée à contourner l'inertie de la justice, avait été annoncée, il y a bientôt trois ans. Mais la crise de la Covid est passée par là et a retardé le travail de recherche de preuves mené par une dizaine de membres de l'association. Cette procédure permet, en effet, de saisir directement une juridiction pénale sans passer par la phase d'instruction, mais nécessite, en contrepartie, de produire ces indispensables preuves.
Les précédentes actions judiciaires, lancées dès 1996 mais de manière éclatée, se sont révélées être un puits sans fonds. « C'est un labyrinthe de procédures dans lesquelles les victimes se sont perdues », constate Antoine Vey, qui en défend de nouvelles dans cette procédure alternative.
Lobbying remarquable
Dans le collimateur des victimes ? Le Comité permanent amiante (CPA), « une structure informelle constituée en 1982, un lieu vide, censé être une structure de concertation, réunissant des représentants d'organisations syndicales, de l'Administration, des scientifiques et des industriels », explique M. Parigot.
Le travail de lobbying de cette structure « a été fait de façon remarquable », témoigne cette figure historique du combat contre l'amiante. « Étant conscients que l'interdiction de l'amiante allait tôt ou tard survenir, l'objectif n'était pas de l'empêcher, mais de la retarder le plus possible pour continuer à faire des bénéfices le plus longtemps possible », s'indigne l'universitaire. Le comité est ainsi parvenu à faire admettre l'existence d'un seuil d'innocuité ou à faire échec au projet de directive européenne d'interdiction de la fibre tueuse. « Nous disposons d'un document par lequel le CPA se félicite d'avoir obtenu un moratoire sur une prise de décision en la matière », révèle Antoine Vey. Et ce, alors que les dangers de l'amiante étaient connus depuis le début du XXe siècle et démontrés scientifiquement depuis le début des années 1960.
« Il y a eu trois grosses opérations mondiales de lobbying au XXe siècle : le pétrole, le tabac et l'amiante. Mais l'amiante est la plus ancienne et peut-être la plus sophistiquée », résume Michel Parigot. « Et dans les années 1980, c'est la France qui a mené la barque avec le Canada au niveau mondial », pointe le chercheur.
Quatorze personnes citées
Concrètement, la citation directe vise quatorze personnes physiques identifiées comme ayant agi à différents niveaux dans le cadre du CPA. L'association de victimes a réuni les documents en vue de caractériser une série d'infractions : homicides et blessures involontaires, non-assistance à personne en danger, complicité d'administration de substances nuisibles, complicité de tromperie aggravée, association de malfaiteurs.
« Il est assez difficile de cerner les responsabilités de chacun », admet Me Vey, même si des rapports parlementaires permettent d'apporter un éclairage. « Le dossier de l'amiante présente une spécificité dans le sens où il est très difficile à construire, avec des éléments probants détruits ou occultés. L'audience aura une grande importance en termes probatoire », explique l'avocat. Mais plus que la condamnation de tel ou tel, qui arrivera trop tard et sur des prévenus trop âgés, c'est avant tout un débat « contradictoire, public et transparent » que recherchent ici les victimes.
Mais encore faut-il que la justice soit plus diligente que dans les procédures précédentes et que le choix de la citation directe fasse mouche. « Nous espérons recevoir une considération de l'appareil judiciaire, réclame Antoine Vey. Elle fait défaut depuis trente ans aux victimes. » L'avocat mise sur la crise sanitaire, qui a permis une certaine prise de conscience sur ces sujets, mais aussi sur la nouvelle voie judiciaire empruntée qui met en avant de nouvelles victimes, mais aussi de nouvelles preuves du scandale. Objectif : une audience sur le fond en 2023.