La Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) veut savoir si les défauts constatés sur l'EPR chinois de Taishan « menacent (…) l'EPR de Flamanville ». « Que cachent les silences d'EDF ? » interroge l'association, qui explique avoir envoyé, fin février, un courrier à EDF (1) afin d'être informée des implications pour l'EPR français en termes de sûreté, de coûts et de délai. « La réponse d'EDF (2) ouvre de nouvelles pistes d'investigation (…) et l'omission délibérée de questions sensibles est particulièrement instructive », explique la Criirad, qui annonce « [avoir] saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) afin d'obtenir qu'EDF se conforme à ses obligations de transparence en matière de risque nucléaire ».
Des silences « éloquents »
Dans son courrier adressé à EDF, la Criirad interroge d'abord l'entreprise française sur la situation à Taishan. Une série de questions concerne la détection des vibrations durant le fonctionnement du premier EPR chinois, la nature des dégradations subies par les crayons de combustible, la contamination de l'eau du circuit primaire et les rejets de gaz radioactifs à l'atmosphère. Outre les questions relatives au réacteur 1, la Criirad s'interroge aussi sur la situation du second EPR chinois. Elle explique que « des informations non consolidées suggèrent que l'exploitant aurait été contraint de faire fonctionner le réacteur à 50 % de puissance pour limiter les vibrations ».
Sur ces points, la Criirad juge la plupart des réponses d'EDF lacunaires. Cette dernière indique notamment que les données sur les paramètres radiochimiques ne peuvent être communiquées car elles appartiennent à l'opérateur de la centrale (l'entreprise chinoise TNPJVC, détenue à hauteur de 30 % par EDF). De même, concernant la nature exacte du problème, EDF « s'efforce globalement d'échapper aux questions plutôt que d'y répondre ». L'entreprise refuse, par exemple, de confirmer, ou non, qu'environ 70 crayons fuient, répartis dans une trentaine d'assemblages. « Les silences d'EDF sur des points sensibles sont particulièrement éloquents », estime la Criirad.
Et des informations à exploiter
Reste toutefois « un certain nombre d'informations à exploiter ». Dans les grandes lignes, EDF confirme que les gaines de combustibles ont subi une usure mécanique provoquée par la rupture de petits dispositifs de maintien des crayons combustibles. Ce phénomène « est lié à des sollicitations hydrauliques particulières », explique l'entreprise.
Le problème « a déjà été rencontré sur des réacteurs à travers le monde dont certains du parc nucléaire français », explique EDF, ajoutant que « les solutions techniques sont d'ores et déjà disponibles et éprouvées ». Une réponse qui surprend la Criirad puisque, selon l'agence de presse Montel, EDF adressera à l'ASN son rapport sur les solutions techniques à mettre en œuvre avec quatre mois de retard. Le document, attendu par l'ASN en février, ne devrait être remis que fin juin, selon une porte-parole de l'ASN interrogée par Montel.
Comment fonctionnera l'EPR de Flamanville ?
Quid du couvercle de l'EPR ?
En 2018, l'ASN a imposé à EDF de changer le couvercle de cuve de l'EPR avant décembre 2024 (l'acier de celui-ci présentant des défauts de concentration en carbone). Or, en janvier dernier, EDF a annoncé que l'EPR ne démarrerait qu'au deuxième trimestre 2023. « Il est raisonnable de penser que Flamanville 3 ne pourra pas fonctionner pendant un cycle complet (soit dix-huit mois) avant l'échéance de décembre 2024 fixée par l'ASN », estime la Criirad.
L'association a demandé à EDF si elle compte changer le couvercle avant le démarrage du réacteur ou si elle envisage de demander à l'ASN de reporter l'échéance de fin décembre 2024. Deux questions restées sans réponse.
Autre question concernant Flamanville : quelle utilisation compte faire EDF des assemblages de combustible livrés entre octobre 2020 et l'été 2021 afin de constituer le premier cœur du réacteur ? Elle souhaite savoir si l'énergéticien a bien commandé à Framatome un nouveau combustible, avec des gaines en alliage modifié (pour mieux résister à la corrosion) et des grilles de maintien renforcées (pour mieux supporter les vibrations). « EDF indique que des études sont en cours qui pourraient "à terme" conduire à des modifications dans le procédé de fabrication ou les technologies utilisées », sans préciser si le combustible livré sera utilisé et dans quelle condition.