La réhabilitation des canalisations d'adduction d'eau potable par la technique dite du "gainage" ou relining pourrait ''entraîner le lessivage de ce produit chimique préoccupant qu'est le Bisphénol A (BPA) dans l'eau potable'', alertent le Réseau Environnement Santé (RES) et les ONG Chemsec (International Chemical Secretariat) et WECF (Women in Europe for a Common Future), dans un communiqué publié mercredi 14 décembre.
Le gainage des conduites d'eau potable utilise souvent une résine époxy qui contient du BPA ou du Bisphénol A Diglycidyl Ether (BADGE) ''qui peut libérer du BPA''. Ce procédé ''consiste à insérer un revêtement étanche à l'intérieur de la conduite, ce qui permet ainsi d'éviter de remplacer les conduites d'eau dégradées par des conduites neuves'', expliquent les ONG. La technique du gainage déjà très appliquée sur des collecteurs d'eaux usées est "de plus en plus répandue". La raison ? Réhabiliter de vieilles conduites d'eau de l'intérieur par gainage époxy serait ''une solution moins coûteuse et plus facile que de creuser et de remplacer les tuyaux", selon elles. Les résines époxy qui contiennent du BPA sont également utilisées dans d'autres matériaux qui entrent en contact avec les aliments et l'eau potable parmi lesquels les revêtements intérieurs des boîtes de conserve ou les revêtements des réservoirs de stockage d'eau potable et autres bassins de rétention, rappellent les organisations.
Le BPA peut-il migrer dans l'eau à partir des conduites d'eau potable ?
Si, à l'heure actuelle, peu d'analyses ciblant la composition chimique de l'eau provenant des canalisations gainées existent, la migration du BPA et du BADGE dans l'eau aurait déjà été rapportée dans plusieurs cas où la résine époxy n'a pas été mélangée correctement ou n'a pas disposé d'un temps de séchage suffisamment long, indiquent les organisations. "Par le passé, la population a pu être affectée par l'utilisation du plomb dans les aqueducs ou plus récemment par celle du cuivre dans les canalisations d'eau potable. Nos connaissances actuelles devraient nous prémunir contre l'utilisation de matériaux susceptibles de laisser migrer des substances dangereuses dans notre système d'eau potable", prévient le professeur Åke Bergman, de l'Université de Stockholm cité dans le communiqué.
Le BPA, qui entre dans la fabrication de plastiques de type polyépoxy mais aussi polycarbonate, a déjà fait l'objet de nombreuses études révélant que le chauffage à haute température des récipients et ustensiles favorisait la migration du composé chimique dans les aliments. Fin septembre dernier, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié deux rapports mettant en évidence des effets sanitaires du BPA avérés chez l'animal et suspectés chez l'homme (fertilité féminine, pathologies cardio-vasculaires, diabète) ''même à de faibles niveaux d'exposition''. Elle avait appelé à réduire l'exposition à cette substance des populations qui y sont les plus sensibles (nourrissons, jeunes enfants, femmes enceintes et allaitantes) et sollicité les industriels pour qu'ils remplacent le BPA par des substances alternatives ''sans danger", en priorité dans les matériaux au contact des aliments.
''Il a été montré que la quantité de BPA contenue dans l'eau augmente en fonction de la température des conduites ou de la température de l'eau'', corroborent le RES, Chemsec et WECF. Selon les ONG, plusieurs rapports font état de concentrations de BPA supérieures à 30 µg/l (microgrammes par litre) dans une eau chauffée à 70°C. En Allemagne, des niveaux de BPA allant jusqu'à 280 µg/litre ''ont été mesurés dans les canalisations d'eau chaude à la suite d'une opération de gainage dont la mise en œuvre a présenté des dysfonctionnements. Ces niveaux se situaient largement au-dessus du seuil des 30 µg/ litre'', citent-elles.
Si la migration du BPA est ''avant tout préoccupante dans les conduites d'eau potable, où il est susceptible de contaminer l'eau consommée, sa présence dans le gainage des collecteurs d'eaux usées est également problématique, puisqu'elle augmente la quantité de BPA à traiter dans les stations d'épuration'', estiment les ONG. Il existe cependant, selon elles, une alternative pour le gainage, à savoir des matériaux à base de polyester et de polyuréthane sans BPA et des résines aux silicones. Mais ces alternatives exemptes de BPA restent encore à évaluer du point de vue de leur composition chimique, préviennent-elles.
Vers une révision de la réglementation ?
''Nous ne savons pas si ce lessivage du BPA dans l'eau potable est une source de contamination courante, mais nous savons que ce phénomène existe. L'Anses doit se pencher sur ce problème dans son travail de caractérisation des expositions et il y a un besoin urgent d'une règlementation à l'échelle européenne", a déclaré Yannick Vicaire du Réseau Environnement Santé. Début 2012, l'Anses devrait remettre un nouvel avis aux pouvoirs publics habilités à réviser le cadre réglementaire sur le BPA.
Depuis le printemps 2011, l'Union européenne a interdit le BPA dans les biberons. Le parlement français a voté en octobre l'interdiction totale du BPA pour tous contenants alimentaires à partir de 2014 et dès 2013 pour les produits destinés aux enfants de moins de trois ans. Mais aucune législation n'existe à l'heure actuelle au niveau européen pour prendre en charge le problème du gainage, déplorent les ONG. ''Il est donc urgent de réglementer l'usage du BPA dans les matériaux en contact avec l'eau potable'', estiment-elles. Chemsec, WECF et le RES ont appelé les propriétaires et gestionnaires de logements ainsi que les régies des eaux ''à se pencher sur la question de la sécurité du relining et à exiger des alternatives plus sûres''.