L'idée des projets domestiques consisterait donc à appliquer au niveau national la logique des mécanismes définis à l'international par Kyoto en créditant des réductions d'émission à des projets menés par des acteurs nationaux dans leur pays d'origine.
Afin d'évaluer les intérêts et les potentialités de ce système au niveau français, la Mission Climat de la caisse des dépôts et de consignation s'est penchée sur la question à la demande des pouvoirs publics.
Selon le rapport de l'étude, le système des projets domestiques présenterait l'avantage d'inciter la réduction des émissions dans les secteurs qui ne sont pas couverts par le protocole de Kyoto et qui sont de surcroît les secteurs les plus sensibles et les plus diffus : transport, bâtiment, agriculture et industrie (non soumises aux quotas).
En effet, le système d'échange de quotas de CO2 s'applique aux installations les plus émettrices de l'industrie et de la production d'énergie ce qui ne couvre que 30% des émissions nationales. Les 70% restants ne sont soumis à aucune incitation via le prix du carbone alors que les émissions qui progressent le plus en France sont justement celles qui ne sont pas couvertes. La plus forte progression entre 1990 et 2002 a été observée dans le secteur des transports avec un accroissement des émissions de près de 30 millions de tonnes. On a également assisté à une progression, plus modeste, des émissions provenant du secteur des bâtiments.
L'élargissement de la couverture du dispositif des quotas a été évoqué mais semble être une voie très complexe à mettre en œuvre dans ces secteurs et aboutirai surtout à des coûts élevés de gestion du dispositif. Selon l'étude, les coûts de mise en oeuvre et de gestion d'un dispositif de projets domestiques sont bien plus faibles que ceux de l'élargissement du mécanisme de quotas puisqu'ils ne s'appliquent qu'à la partie des acteurs qui auront lancé des projets volontaires de réduction d'émissions.
D'autre part, il semblerait que le potentiel de ces projets domestiques soit très intéressant. Avec l'aide de nombreux acteurs, réunis en groupes de travail sectoriels (transport, agriculture, bâtiment et industries non soumises aux quotas), la Mission climat de la Caisse des dépôts et consignations a procédé à une évaluation du gisement des réductions d'émissions qui pourraient théoriquement avoir lieu sur notre territoire si un système de projet domestique était mis en place. Une fourchette de réduction de 10 à 15 millions de tonnes de CO2 serait obtenue sur quatre secteurs. A titre de comparaison, ce gisement correspond à une réduction de 10% des émissions des installations soumises au PNAQ (Plan National d'Affectation des Quotas d'emission de CO2) ou 3% des émissions françaises hors PNAQ.
Dans le transport terrestre, secteur ou les émissions augmentent le plus vite, le gisement de réductions d'émissions apparaît notamment dans le transport de marchandises (intermodalité), dans l'action sur le transport urbain de voyageurs, notamment les flottes de bus, et pour des projets utilisant des technologies innovantes. Par exemple, dans le cas d'un projet de remplacement de tous les taxis français par des véhicules équivalents hybride – essence, les calculs ont montré que ce remplacement permettrait de réduire les émissions de CO2 du pays de plus de 280.000 tonnes par an. Pour chaque taxi ainsi remplacé, on économise environ 6 tonnes de CO2 par an.
Dans le secteur agricole et forestier, des réductions importantes d'émissions pourraient être obtenues grâce à des projets concernant notamment l'utilisation des biocombustibles, la gestion des déjections animales, la diminution de la fertilisation azotée et le stockage du carbone dans la biomasse. Par exemple, une modification dans la gestion des déjections, notamment pour le lisier de porcs et les déjections bovines par la mise en place d'un méthaniseur de déjections à tous les gros élevages porcins et bovins, permettrait de réduire les émissions de 3.400.000 teqCO2 par an.
Dans le secteur du bâtiment, le gisement de réductions d'émissions semble important, notamment à travers les projets d'amélioration de la gestion des bâtiments tertiaires, d'évolution des systèmes de froid commercial, et de substitution de chaudières fossiles.
Les émissions hors quotas de l'industrie pourraient être fortement réduites, principalement dans le secteur des déchets (gestion des décharges et des eaux usées). Deux autres pistes intéressantes de réduction semblent être les émissions des procédés de l'industrie chimique et les fuites liées au transport de gaz naturel.
Mais le rapport précise que le gisement est théorique et seul la mise en place d'un dispositif effectif permettra de connaître le montant qui peut effectivement être réduit. Quant aux conditions de mise en œuvre, l'étude rappelle que pour que ces projets puissent apporter un bénéfice écologique et économique réel à la collectivité, et aider la France à atteindre son objectif de réduction des émissions, ils doivent être additionnels aux politiques et mesures déjà prévues par la France dans le cadre du Plan Climat.
Certains pays ont déjà mis en place des systèmes de projets domestiques. Deux pays ayant ratifié le protocole de Kyoto (la Nouvelle-Zélande et le Canada) mais aussi des pays n'ayant pas ratifié le protocole de Kyoto : une initiative en Australie, et deux aux Etats-Unis, ont vu le jour récemment.
En Australie, l'Etat du New South Wales a mis en place en 2003 un système d'échange de permis d'émissions sur son secteur électrique. Ce système est couplé à un mécanisme de projets domestiques qui regroupe des activités comme les économies d'énergie, l'industrie ou les plantations forestières. Il s'agit du système de projets domestiques le plus abouti aujourd'hui : environ 150 projets ont déjà reçu des crédits.
D'après l'étude de la caisse des dépôts, les projets domestiques constitueraient un moyen efficace de lutte contre l'effet de serre, et seraient des compléments très intéressants au Plan Climat puisque celui-ci ne précise pas les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs affichés.
Rappelons que si les objectifs du Plan Climat ne sont pas atteints, et que la France est au-delà de son objectif Kyoto, l'Etat Français devra acheter des crédits d'émissions pour être conforme à ses engagements. Le rapport conseille donc de comparer les coûts (mise en place du système ou rachat de crédits) dans une optique d'efficacité économique des mesures à mettre en place en précisant toutefois qu'outre la recherche du coût minimum, l'acceptabilité sociale de la mesure pourrait être un élément de décision important. Le financement de projets domestiques permettrait de réaliser des réductions d'émission sur le territoire national, et de développer certaines activités économiques spécialisées dans l'environnement avec des effets positifs sur l'emploi.