Bêtes noires de nombreux services de production d'eau potable, les deux métabolites des pesticides - le métolachlore ESA et le chlorothalonil R471811- ressortent également de la dernière campagne nationale de recherche des polluants émergents (1) de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Menée par son laboratoire d'hydrologie de Nancy, l'opération vise à améliorer la connaissance de la contamination des eaux brutes et traitées. Elle cible des substances pas systématiquement recherchées dans le cadre du classique contrôle sanitaire par les agences régionales de santé (ARS). Les précédentes campagnes ont, par exemple, porté, en 2011, sur les composés alkyls perfluorés (2) (PFAS) ou plus récemment, en 2020, sur les sous-produits de la désinfection de l'eau potable (les acides haloacétiques), les phtalates (40586), et une bactérie récemment découverte Rouxiella chamberiensis (3) . Les résultats sont ensuite pris en compte dans l'élaboration des listes pour le contrôle sanitaire.
Dans cette nouvelle opération, le laboratoire de Nancy a ciblé plus de 157 pesticides et leurs dérivés (métabolites), 54 résidus d'explosifs et un solvant cancérogène le 1,4-dioxane. Quelque « 136 000 analyses ont été réalisées, dont environ 70 % de pesticides et métabolites de pesticides, précisent les auteurs du rapport. Parmi les 212 composés analysés, 115 n'ont jamais été recherchés dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux. »
Résultats pour ce qui concerne la famille des pesticides ? Le contaminant le plus souvent retrouvé (un échantillon sur deux) et qui dépasse le plus souvent (un échantillon sur trois) le seuil de qualité (4) fixé est le métabolite d'un pesticide, le chlorothalonil R471811. Le fongicide initial n'est lui plus autorisé sur le marché de l'Union européenne depuis le 22 mars 2019. Mais le produit a beaucoup été utilisé en France, notamment sur les cultures de blé, mais également d'orge. Et de nombreux produits de dégradation demeurent dans les milieux, dont manifestement le chlorothalonil R471811.
Des usages du S-métolachlore, bientôt interdits ?
Autre métabolite quantifié à plus de 50 % dans l'ensemble des échantillons : le dérivé ESA du très médiatique S-métolachlore. Ce contaminant s'est retrouvé sous le feu des projecteurs quand, en octobre 2022, l'Anses a déclassé deux métabolites de la substance, dont le métolachlore ESA, modifiant ainsi sa gestion dans l'eau - et surtout le seuil à ne pas dépasser (de 0,1 microgramme par litre pour l'eau distribuée, il a été relevé à 0,9 microgramme par litre). Avant ce déclassement, en 2019, plus de 4,5 millions de personnes ont été alimentées par une eau en-dehors des clous à cause de l'ESA-métolachlore.
De plus en plus de cas de non-conformité
Les résultats de la campagne de l'Anses montrent que deux régions présentent des échantillons d'eau traitée avec des fréquences de non-conformité élevées : la Bretagne (92 %) et les Hauts-de-France (76 %). « Les concentrations les plus élevées en somme de pesticides et métabolites dans l'eau traitée ont été observées dans les régions Hauts-de-France et Bourgogne-Franche-Comté, avec respectivement 14,3 μg/L et 7,3 μg/L », complète l'Anses. Par ailleurs, une fraction assez importante des captages étudiés dépasse le critère « somme des pesticides et des métabolites pertinents ». L'Anses a envisage de lancer des travaux complémentaires.
D'une façon plus large, pour ce qui concerne le contrôle de qualité par les ARS, ce dernier montre qu'en 2021 le pourcentage de la population alimentée en permanence par une eau qui respecte les limites de qualité réglementaire pour les pesticides a chuté à 82,6 %, contre 94,1 % en 2020. En cause ? La nouvelle approche pour sélectionner les substances à rechercher dans l'eau potable introduite par une instruction en décembre 2020. « En 2021, de nouvelles molécules sont à l'origine des dépassements de la limite de qualité, en particulier le métabolite ESA du métolachlore, et des métabolites de la chloridazone (chloridazone désphényl et chloridazone méthyl désphényl) dont la recherche s'est généralisée en 2021, précise dans sa synthèse du suivi (5) , le ministère de la Santé. L'amélioration de la surveillance a permis de mettre en évidence des molécules probablement présentes dans les eaux depuis de nombreuses années. »
Une photographie de la contamination aux résidus d'explosifs et du 1,4-dioxane
Autre contaminant recherché par le laboratoire de Nancy : des résidus d'explosifs. « Cette préoccupation est une conséquence des deux guerres mondiales du XXe siècle, et plus particulièrement de la première (1914-1918), expliquent dans leur rapport les auteurs. Les activités militaires (fabrication de munitions, zones de combats, zones de destruction) ont entrainé une potentielle pollution environnementale d'une grande diversité chimique. »
Aujourd'hui, il n'existe pas de limite réglementaire pour ces résidus. Certains disposent toutefois de valeurs guide. Les molécules les plus quantifiées sont le 2,4-Dinitrotoluène (2,2 % dans l'eau brute à 1,7 % dans l'eau traitée) et le 2,6-Dinitrotoluène (de 3,9 à 3 %), ainsi que de métabolites du 2,4,6-TNT (0,3 %).
La campagne s'est également intéressée au 1,4-dioxane. D'abord utilisée comme stabilisant de solvants chlorés dans les années 1960, cette molécule a ensuite été incorporée dans la production de molécules organiques, les peintures, les vernis, les colorants et les antigels. Si aucune valeur réglementaire n'est fixée en France ou en Europe, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé un critère de qualité de 50 μg/L pour l'eau potable. « Pour plus de 90 % des ressources analysées, aucune quantification de 1,4-dioxane n'a été mise en évidence avec la limite de quantification de 0,15 μg/L de la méthode mise en œuvre », indique l'Anses. Les régions où les quantifications sont les plus fréquentes sont l'Île-de-France, le Centre-Val de Loire, les Hauts-de-France et les Pays de la Loire.